Voici d'abord un SACD absolument parfait sur le plan technique, tant dans la disposition frontale que l'équilibre des voies avant et arrière ou le rendu des timbres. Channel reste bel et bien l'une des étiquettes les plus fiables en la matière. Après le 2e volume des Quatuors parisiens de Telemann, voici donc à nouveau sous cette étiquette un SACD "incontournable", d'autant que la musique y est admirable.
Quitte à choquer, j'avoue que je donnerais volontiers des disques du Brésilien Villa-Lobos pour un CD du Mexicain Silvestre Revueltas (1899-1940), notamment celui d'Esa Pekka Salonen chez Sony ou celui-ci.
Revueltas atteint une alchimie à mes yeux optimale entre un langage de la 1re moitié du XXe siècle, qui doit beaucoup à Stravinsky, et ses racines sud-américaines. En écoutant Planos (1934) on pense évidemment à l'Histoire du soldat (1918), d'autant que la configuration sonore de la trentaine de musiciens de l'Ebony Band, dominé par les vents, facilite un tel rapprochement.
Partout cet ensemble d'Amsterdam croque avec une justesse timbrique parfaite le caractère des pièces. Il rend aussi justice à cette omniprésence du rythme, si caractéristique de Revueltas, mais jamais ostentatoire, comme en témoigne le bref Caminando. L'Ebony Band est à l'aise dans le plus narratif (Este era un rey), le plus folklorisant (Ocho por radio ou El renaciuajo paseador), le plus aiguisé et cartésien (Planos) ou le plus exalté (Sensemaya).
On trouve sur ce disque trois raretés. Hora de Junio, avec récitant, est constitué de Trois Sonnets composés par Revueltas, entourés de deux interludes et d'un épilogue signés par son compatriote José Ives Limantour, qui a puisé le matériau dans la musique du film La noche de los Mayas. Les poèmes, plutôt tristounets, sont déclamés avec pathétisme par Juan Carlos Tajes. Ce n'est sans doute pas le moment le plus avenant du disque, même si la musique est parfois poignante (cf. 2e Sonnet-2e Interlude). Autre partition inconnue, Este era un rey, une musique de scène colorée et acérée, composée juste avant la disparition de Revueltas pour une pièce, apparemment perdue, qui comportait les personnages de Franco et Mussolini. Les quatre brèves Pièces pour douze instruments (1929) font partie de ces compositions de Revueltas dans lesquelles la recherche des alliages de timbres prime sur le contenu narratif ou le rythme. Ce sont en quelque sorte des études, à classer dans la succincte partie "stravinsko-webernienne" de sa production. Le programme comprend également Preludio y Fuga ritmicos, une œuvre de José Pomars, un ami de Revueltas, dont le mordant rythmique est, là aussi, incarné avec une précision éblouissante et une très grande subtilité dans le dosage des percussions.
Un disque fascinant et dépaysant, défendu par des interprètes érudits et engagés.
--Christophe Huss